Préambule
J’ai compris au fil des ans que l’apprentissage d’une langue est avant tout affaire de
mimétisme. Imiter les gens dans leurs dialogues, que ce soit du point de vue de l’accent, des
expressions orales, de l’intonation voire même de la gestuelle, facilite la communication et
l’interaction avec les gens d’autres cultures. Sans négliger l’étude de la grammaire et du
vocabulaire, j’ai aussi appris que la maîtrise d’une langue se fait dans le milieu où elle se parle
et non pas chez soi. Mes nombreux séjours à l’étranger m’ont donné cette chance inouïe
d’étudier et de pratiquer au quotidien plusieurs langues devenues par le fait même vivantes.
Pratiquer une langue dans son milieu d’origine m’a permis d’apprécier toute sa richesse
culturelle et sa vivacité. Une des grandes satisfactions d’apprendre des langues étrangères est
la découverte d’autres univers culturels. Chaque nouvelle langue apporte son lot de richesses
culturelles, d’histoire et de facettes de vie. Par ailleurs, si l’on maîtrise suffisamment bien la
langue, on arrive même à penser, à raisonner, voire à rêver, dans cette langue. Aussi j’ai
remarqué que notre cerveau ne semble pas raisonner de la même manière dans une langue
étrangère et un milieu différent. Sans doute (ici j’avance une hypothèse), la configuration des
synapses des réseaux de neurones impliqués dans les capacités linguistiques du cerveau n’est
pas les mêmes d’une langue à l’autre. Il faudrait creuser la question...
Français
Il s’agit de ma langue maternelle et j’en suis fier. La langue des poètes et du romantisme. La
langue de Molière, de Montesquieux, de Rabelais, de Baudelaire, de Voltaire, de Balzac, de
Proust, de la Fontaine, de Victor Hugo, de Marguerite Yourcenar, de Félix Leclerc et
d’innombrables autres encore. C’est la langue que je maîtrise le mieux, forcément, et celle que je
préfère pour m’exprimer dans la poésie et les arts. Lorsque j’étais tout jeune, et durant la
maladie de ma mère, j’ai fait un séjour prolongé au pensionnat de Saint-Louis-de-Gonzague
dans le vieux Québec. Ce passage obligé chez les bonnes soeurs m’a permis de maîtriser mon
français mieux qu’ailleurs. À raison de trois à cinq dictées par jour, cet entraînement “intensif”
laisse des traces permanentes chez l’élève. Mes trois années de latin à la fin du secondaire
m’ont également aidé à maîtriser les subtilités de notre vieille langue, pas seulement
du point de vue étymologique.
Anglais
Dommage que la langue anglaise, qui est si belle lorsqu’on s’y attarde, soit devenue la langue
banalisée de l’argent, du commerce et de la mondialisation. C’est sans doute la langue la plus
“mal parlée” du monde. Sa grammaire, de prime abord simpliste (pas d’accent, très peu
d’exceptions, conjugaisons faciles, pas de genre, etc.) se veut à la portée de tout le monde. Aussi,
à peu près n’importe qui ayant appris quelques mots d’anglais et écouter quelques films
hollywoodiens se déclare bilingue. Je n’ai pas échappé à cette tendance étant jeune.
Heureusement, une bourse à la fin du collégial me permit d’aller étudier le génie à l’University
of British Columbia de Vancouver. Ce séjour prolongé me permit d’approfondir mon anglais et
d’y trouver de nombreux avantages, pas seulement pécuniaires et économiques (lorsque je
travaillais à l’Université d’Alberta par exemple). L’anglais, étant la langue seconde définie de
facto partout dans le monde, elle permet aujourd’hui une facilité de communiquer à l’échelle
planétaire, qui est inégalée dans histoire de l’humanité (on peut établir un parallèle avec le
latin de l’Empire romain). Cette langue facilite donc l’exploration (et hélas l’exploitation) de la
planète. D’un point de vue scientifique, elle est également omniprésente. Alors qu’il y a à peine
un siècle, on publiait les articles scientifiques régulièrement en français, en allemand ou en
russe, aujourd’hui, l’anglais est obligatoire pour tous. Ceci a l’avantage de faciliter les
échanges scientifiques et d’accélérer le transfert des connaissances et les progrès qui
s’ensuivent, mais cette uniformisation de l’écriture entraîne parfois une uniformisation de la
pensée scientifique au sein de la communauté, ce qui appauvrit la diversité des idées.
Finalement, c’est en maîtrisant très bien les deux “langues officielles” du Canada que j’ai
vraiment compris qui j’étais en tant que citoyen du Québec et combien nous, les Québécois,
étaient si différents du ROC (Rest of Canada). Pour mieux se connaître, il faut apprendre à
se situer par rapport aux autres et à relativiser ses différences, ce qui nécessite la
connaissance des autres cultures et a fortiori des autres langues.
Espagnol
Lorsque j’étais au secondaire, j’ai eu la chance de faire deux ans d’espagnol avec un professeur
originaire d’Espagne (castillan et fier de l’être!), José Montabes (voir la caricature, section
jeunesse). J’ai eu beaucoup de plaisir à étudier cette langue et à découvrir la culture castillane
avec lui. Mais c’est seulement quelques années plus tard, lors de mon premier périple en Europe,
que j’ai pu enfin pratiquer cette langue sur la péninsule ibérique. À voyager sur le pouce là-bas
pendant des semaines, j’ai fini par m’y faire des amis et je me devais de discuter avec eux dans
la langue de Cervantez. J’ai pu également pratiquer mon espagnol lors des mes voyages dans les
Caraïbes, notamment à Cuba, en République Dominicaine et au Vénézuéla. Ma connaissance
de la langue cependant n’était pas à ma satisfaction. Je manquais de pratique, sur une longue
période et de façon soutenue. C’est lors de ma première année sabbatique en 2008 que je pu
combler cette lacune. En effet, j’ai pu travailler au Mexique à titre de professeur invité pendant
près de six mois, où je devais enseigner en espagnol, notamment à l’UNAM à Mexico au
CCADET et aussi à l’Université de Zacatecas plus au nord. Ce séjour que je considère trop
court m’a permis de me familiariser avec la culture mexicaine et d’approfondir mes
connaissances de cette belle langue latine, l’une des plus parlée au monde.
Allemand
Tout a commencé lorsque j’ai suivi un cours d’Allemand au Cegep de Limoilou
durant un
semestre. C’était horrible. La professeure nous a fourni un cours aride, dépourvu de toute
motivation qui aurait pu nous intéresser cette langue. Pourtant je m’étais inscrit par intérêt
initialement. Après ce cours, j’avais abandonné l’idée de poursuivre mes efforts pour cette
langue, jusqu’à mon premier périple autour de l’Europe en 19776-1977. C’est en Espagne en hiver
76-77 que j’ai connu Klaus, un homme d’affaires allemand de Hanovre qui m’a permis de
séjourner chez lui près de Barcelone. C’est un peu grâce à lui que tout a commencé. Bon vivant
et grand buveur de bière, nous nous sommes rapidement liés d’amitié, mais nous nous parlions
alors en espagnol. Je ne maîtrisais pas bien l’Allemand à l’époque, surtout pas avec le cours
médiocre que j’avais ingurgité au Cégep deux ans auparavant. Devant le revoir à nouveau en
Allemagne trois mois après mon séjour au nord de l’Espagne, j’ai pris le pari avec lui dans un
bar ( je n’étais pas vraiment sobre cette nuit-là) que je parlerais en Allemand avec lui lors de
notre prochaine rencontre à Hanovre. Si je gagnais mon pari, il payait la bière et la bouffe
durant la durée de mon séjour à Hannovre. Sinon, c’était moi qui casquais. Ça l’a bien fait
rigoler et il a accepté le pari avec joie. Je me suis donc remis à l’Allemand. Comme quoi la vie
est parfois ironique. Ainsi, durant la suite de mon voyage à travers l’Europe, je passais des
heures dans les trains ou sur le bord de la route à étudier la grammaire allemande et le
vocabulaire. Je tentais, maladroitement, de discuter avec tous les Allemands, Suisses ou
Autrichiens qui me tombaient sous la main. Je mettais tous les efforts pour les imiter du mieux
que je pouvais, même sans toujours comprendre ce qu’il disaient. Au bout de trois mois,
lorsque je suis enfin arrivé à Hanovre après un long périple à travers la France, l’Italie, la
Suisse, l’Autriche, la Grèce et la Yougoslavie, j’arrivais à lui parlé en allemand, péniblement il
faut le dire, mais en allemand quand même. Il a tenu son pari avec plaisir et j’ai pu vivre à
Hanovre pendant plusieurs jours à très peu de frais. Depuis ce temps, je suis toujours demeuré
amoureux de la langue de Goethe. De retour au pays, je cherchais toutes les occasions pour
pratiquer l’allemand. J’étais membre du l’Institut Goethe de Québec, où je pouvais pratiquer et
améliore mes connaissances de la langue tout en me faisant des amis allemands. À la fin de
mon cours d’ingénieur, j’ai obtenu une bourse pour faire un stage de 6 mois à titre d’ingénieur
junior chez Bosch dans leur centre de R et D à Schwieberdingen en Allemagne. C’est là que j’ai
pu vraiment parfaire mes connaissances. La pratique toujours la pratique, même si l’accent
prononcé des “Schwabe” de la Forêt-Noire n’était pas toujours facile à comprendre ! Ce stage
m’a faire comprendre que je me devais de trouver un moyen de revenir dans ce pays fascinant
dont l’histoire récente fut si dramatique. Mon souhait fut réalisé lorsque j’ai obtenu une
première bourse du gouvernement allemand (DAAD- Deutsche Akademisches Austauch Dienst)
pour réaliser un doctorat (une thèse d’état à l’époque) en Allemagne à l’université de mon choix.
L’obtention d’une subvention de recherche de la DFG (Deutsche Forschungsgemeinschaft) m’a
permis de compléter mon séjour de cinq ans en terre allemande. Quelle richesse culturelle,
souvent insoupçonnée et méconnue ici au Québec, émane de ce pays! L’Allemagne est un des
pays qui publie le plus grand nombre de livres en occident. Les Allemands sont très fiers de leur
langue et de leur culture. Aujourd’hui encore, après toutes ces années, je conserve plusieurs
amis là-bas et je considère toujours l’Allemagne comme une seconde patrie où
je n’y sens chez moi.
Japonais
Après avoir complété ma thèse doctorale à Bochum en Allemagne, ma conjointe de l’époque (la
mère de ma fille Mélanie) et moi avons décidé de poursuivre notre exploration du monde encore
quelque temps avant de revenir nous établir au Québec. Jovette et moi connaissions bien en
1988 l’Amérique du Nord et l’Europe. Où aller ensuite ? Nous avons opté pour l’Asie. Une des
raisons était qu’à Bochum où nous nous trouvions, se trouvait heureusement pour nous un des
meilleurs instituts de langues asiatiques de toute l’Allemagne. Les professeurs de l’institut
étaient des Asiatiques d’origine et l’établissement offrait des cours intensifs de deux à quatre
semaines. Donc tout de suite après ma soutenance, je me suis inscrit à deux de ces cours
intensifs de japonais (débutant et intermédiaire) pour une durée de six semaines à temps plein.
J’ai l’habitude de dire en blaguant que j’ai appris le japonais en allemand, ce qui n’est pas
totalement faux. À l’époque, la Chine et la Corée du Sud n’étaient pas encore devenues ce
qu’elles sont aujourd’hui, c’est vers le Japon qu enous nous sommes tournés. C’est sur le sol
nippon qu’on retrouvait les Centres de recherches asiatiques les plus intéressants et les
avancés. Après quelques échanges par fax, j’ai accepté une invitation du CRL (Communication
Research Laboratory) du gouvernement japonais, un Centre à Koganei-shi en banlieue de
Tokyo. Pour faire un postdoctorat de deux ans. J’ai choisi ce centre pour la qualité de ses
infrastructures de recherches de pointe et pour sa situation géographique, près de la rivière
Tama en banlieue ouest de Tokyo, une région dépourvue de touriste étranger où j’étais assuré de
pouvoir apprendre et pratiquer le japonais. Car un de mes objectifs était de maîtriser cette
langue si étrange et si difficile pour un Occidental. Le Japon avait beaucoup d’argent à
l’époque. Je fus très bien traité par mon employeur et j’ai pu bénéficier de cours de japonais
privé durant mon séjour à raison de 7 heures d’enseignement par semaine. Après les six
premiers mois, j’arrivais à maîtriser une conversation courante et j’avais appris plus de trois
cents kanjis, tous les caractères hiragana et katakana. En effet l’écriture japonaise est
composée de ces trois ensembles de caractères, les kanjis (pictogrammes chinois) étant les plus
nombreux (plus de sept mille). Il est très difficile de maintenir un bon niveau de maîtrise de
cette langue à moins de le pratiquer constamment. Heureusement, je suis retourné de
nombreuses fois au Japon depuis ce séjour, ce qui m’a permis de “conserver” ce que j’avais
appris à l’époque sans trop subir d’érosion. Mais avec le temps, force est d’admettre que cela
devient de plus en plus ardu. Il me faudrait retourner vivre au Japon pour retrouver la maîtrise
d’antan.
Et les autres...
En exploitant mes connaissances des langues ci-haut mentionnées, j’arrive à lire sans trop de
difficulté l’italien, le portuguais, le roumain (grâce au latin et au français), et le néerlandais
(grâce à l’allemand et à l’anglais) qui sont d’un point de vue de l’écriture assez similaires aux
langues que je maîtrise déjà. Les parler et les comprendre oralement est par contre une tout
autre histoire. Il me faudrait encore une fois consacrer beaucoup de temps dans le milieu et
beaucoup d’énergie pour apprendre ces nouveaux idiomes. Si j’avais le temps et des ressources
en abondance, j’apprendrais également le russe et le chinois (mandarin). Ce seraient mes
prochaines préférences linguistiques.